mardi 30 décembre 2014

TIMBUKTU

Le film de Sissako me laisse perplexe: plastiquement, il est très beau (trop?) mais son propos est ambigu. Je ne peux m'empêcher de me poser trois questions à son sujet.
1. La famille touareg, si belle, si sympathique, de quoi précisément tire-t-elle ses revenus ? Monsieur et madame restent mollement allongés sous leur tente, discutent, sourient, grignotent, tandis que leur vache GPS est (mal) gardée par un petit garçon. 
2. Le héros malheureux de l'histoire (le touareg en question) est tout de même le meurtrier d'un pêcheur. Même dans nos contrées civilisées, il serait puni à la suite d'un procès. Le but du film est-il seulement de dénoncer la peine de mort à laquelle il est condamné?
3. Le fait de présenter des djihadistes "humains", parlant foot, se cachant pour fumer, incapables de riposter à un imam qui tient des propos pertinents à leur encontre ou à une poissonnière qui n'a pas sa langue dans sa poche, est-il judicieux? Toutes proportions gardées, c'est un peu comme si on nous disait que les nazis étaient de bons pères de famille, qui aimaient leurs chiens et la musique...
Le buisson sur la dune, tel un pubis, sur lequel s'acharne la mitraillette d'un islamiste est une métaphore un peu trop appuyée de la peur de la femme éprouvée par ces fiers-à-bras adeptes du voile et des gants pour l'autre sexe...
Tous ces points m'ont considérablement gêné pendant la projection et m'ont privé d'une adhésion totale à ce film.
Un grand moment cependant: les gamins qui jouent au foot sans ballon, puisque le sport est interdit par les intégristes. Dans cette scène, l'enjeu est clair et c'est vraiment du cinéma. 
Les propos tenus par le réalisateur dans Positif sont également sujets à discussion: à la question de savoir quand une intervention étrangère est justifiée dans un pays injustement envahi, Sissako répond: "Quand il y a unanimité." Le concept d'unanimité me laisse perplexe...

lundi 29 décembre 2014

SPARTACUS


 



C'est en 1951 que paraît le roman de Howard Fast. Ce n'est ni le péplum hollywoodien de 1960 que Kubrick a plus ou moins renié, ni la série TV actuelle, indigeste et ridicule.
La construction du roman est intéressante dans la mesure où le héros n'apparaît jamais "en direct": il est le personnage principal des retours en arrière et lorsque l'œuvre commence, il est mort et l'on expose sur la via Appia les 6000 esclaves crucifiés suite à l'échec de leur révolte. Sur l'ensemble du roman plane l'ombre d'un destin nauséabond.
Nous suivons le voyage de jeunes patriciens, heureux de s'être débarrassés de l'horrible danger constitué par l'ex-gladiateur et retrouvant les plaisirs sensuels et sexuels d'une existence où les esclaves ont repris, après l'horrible répression, leur place "naturelle". Nous découvrons les opinions pleines de fiel de l'ambitieux Cicéron à l'aube de sa grande carrières et celles, plus nuancées et respectueuses, du vainqueur de Spartacus. Fast a, dans un premier temps, choisi le point de vue de l'ennemi de classe. 
Ce n'est que dans la deuxième partie que nous suivons l'histoire de Spartacus, depuis les mines de sel jusqu'à l'école de gladiateurs de l'ignoble Lentulus. Finalement, le combat des esclaves contre leurs maîtres et les légions romaines n'occupe que peu de place dans le roman, l'auteur ayant préféré évoquer longuement la mort sur la croix de son héros. La dernière partie, après la disparition de Spartacus, s'intéresse essentiellement à l'évocation de sa compagne. Cette construction inattendue n'est pas le moindre des charmes de cette œuvre aujourd'hui ensevelie sous le poids des symboles, des adaptations et des réécritures.


Howard Fast a publié, entre autres, en 1954, Silas Timberman, un passionnant roman relatant un épisode de la chasse aux sorcières menée contre les enseignants américains.

dimanche 28 décembre 2014

MOMMY

A l'heure des bilans de fin d'année, Mommy est, sans conteste, mon film de l'année.

J'avais apprécié le premier opus de Xavier Dolan J'ai tué ma mère, mais été profondément agacé par le maniérisme narcissique des Amours imaginaires, où le metteur en scène tenait absolument à montrer sa nuque. J'en avais conclu que Laurence anyways et Tom à la ferme ne méritaient pas mon attention...
Avec Mommy, celui qu'on ne désigne plus que comme "le prodige québécois" a voulu faire un film pour le public et non pas à destination des seuls fans de son nombril. Et l'on reste littéralement scotché devant l'écran à géométrie variable où se déchaîne un adolescent strictement hétérosexuel, imprévisible, touchant, dangereux, bien éloigné des personnages habituels de Dolan, souvent englués dans leurs problèmes d'identité sexuelle. Steve est réellement malade et l'auteur parvient à nous rendre sensible son enfermement mental par le format anxiogène de l'écran: ce n'est qu'à deux exceptions que le personnage ouvrira littéralement de ses mains l'espace claustrophobique de son univers pour enfin se libérer et nous libérer par l'utilisation de l'écran large. Jusqu'à la crise suivante.
Plus encore que le personnage de la mère, magistralement interprété par Anne Dorval, c'est celui de l'étrange Kyla (Suzanne Clément) qui m'a paru intéressant: visiblement détruite par la perte d'un petit garçon, elle reporte toute sa sollicitude dans l'impossible rééducation de Steve, délaissant son mari et sa fillette. Le trio - l'adolescent, sa mère, la voisine- ne connaîtra que de rares moments de bonheur, comme la sublime scène où résonne la chanson de la "gloire nationale" du Canada, Céline Dion.


Par ailleurs, en marge du film, Xavier Dolan a tenu des propos qui m'ont fait revenir sur ce que j'estimais être de l'arrogance insupportable de sa part:
- à la suite de son altercation avec Eric Zemmour, il a précisé à un journaliste qui voulait revenir sur l'affaire qu'il ne désirait plus perdre le quart de la moitié d'une seconde à parler de ce monsieur...
- à un autre interviewer extatique qui lui demandait les raisons de son audace à faire entendre du Céline Dion à un moment particulièrement émouvant du film, il a répondu benoîtement qu'il aimait bien Céline Dion..
J'ai l'impression que Xavier Dolan, pas bête du tout et à présent décidé à être sympathique, risque de devenir un très grand cinéaste.

mercredi 10 décembre 2014

NOUVELLES ETUDES DE DASEINSANALYSE

Ca vient de sortir...
Si vous voulez lire un article sur La situation existentielle de l'aigri, n"hésitez pas...

lundi 20 octobre 2014

GONE GIRL

Un film d'un ennui abyssal: 2h30 de bavardages, de coups de théâtre téléphonés. Si vous n'avez pas compris au bout de cinq minutes que la disparition de l'héroïne est un coup monté par elle-même, c'est que vous n'avez jamais lu un livre ou vu un film.Eh bien, les flics du film n'entrevoient la solution qu'à la fin... Ben Affleck est aussi expressif que d'habitude et l'actrice ne mérite pas qu'on retienne son nom. L'image est laide et la mise en scène digne d'un téléfilm de France 3. Victor le ferrailleur a plus de rythme...
On apprend que dans les hôpitaux américains, quand vous arrivez couvert de sang, on vous habille d'un joli pyjama bleu mais on ne vous lave pas... D'où une scène grotesque de douche à la maison où l'épouse demande à son mari de se mettre tout nu parce qu'elle a peur qu'elle cache un micro sur lui. Tout est du même tonneau, mais les salles sont bourrées et les critiques adorent...

mardi 1 juillet 2014

BIRD PEOPLE

Chacun dans sa case, chacun dans ses problèmes: même dans le RER bondé, pas la moindre solidarité, pas la moindre communauté humaine, tant les voyageurs sont englués dans leurs soucis individuels de travail, de famille.
Chacun fuit ses responsabilités: pour rompre, l'Américain choisit la visio-conférence. Il n'a jamais eu le courage de s'expliquer clairement avec sa femme et il ne peut le faire que par l'intermédiaire d'un écran d'ordinateur à des milliers de kilomètres de chez lui. Il n'a que faire de la vie de son épouse totalement anéantie par sa décision soudaine et égoïste
Chacun ment: le concierge du luxueux hôtel, dont les fenêtres donnent sur l'aéroport Charles-de-Gaulle, fait croire à sa collègue de travail qu'il dort chez un copain, en attendant de trouver un logement décent. En réalité, il couche dans sa voiture. Même la vieille cliente bien mise et si respectable raconte au téléphone qu'elle est dans le couloir de son immeuble alors qu'elle regagne sa chambre.
La petite bonne du Hilton de Roissy, à qui personne ne parle, dont le travail n'est reconnu par personne, en a assez de nettoyer la saleté des autres, ces autres qui restent dans leurs cases toutes identiques. Elle décide de fuir, elle aussi: elle devient oiseau, comme dans un conte de fées, un simple moineau qui survole l'aéroport, de nuit, pendant que David Bowie chante Space oddity. C'est beau un aéroport vu d'oiseau, mais quand on est un petit oiseau, on court le risque d'être dévoré par un chat ou un hibou. Humain ou animal, on n'est jamais tranquille...sauf quand un artiste vous prend pour modèle, et qu'on devient tout fier qu'il vous dessine. Vous êtes enfin devenu quelqu'un.
Quelqu'un, une personne, pourtant identique à d'autres personnes. Une parmi d'autres, avec un nom et un prénom. Et non plus personne, le néant. Nobody.
Pascale Ferran sait filmer, nous amuser et même philosopher.


jeudi 26 juin 2014

BLACK COAL

Un film plein de fulgurances comme le titre original l'indique: "Feux d'artifice en plein jour". On entre dans un tunnel par une belle journée; on en sort, il neige. Des membres humains, éparpillés aux quatre coins de la région, sanguinolents dans du charbon noir. Une fusillade au beau milieu d'un salon de coiffure. Une patinoire en plein air, la nuit, où l'on se casse la figure sur une valse de Strauss. Un mot mystérieux laissé dans une voiture avec le numéro d'un bus.Un meurtre à coups de patin à glace. Une teinturerie dans une ville chinoise glauque. Une grande roue dans un parc d'attractions désert. Un flic. Une femme.
L'intrigue est sinueuse mais pas incompréhensible. Comme tout bon polar, c'est un tableau de la société. Et le film ne vous donne guère envie de partir vivre en Chine.


mardi 24 juin 2014

JERSEY BOYS

Il arrive parfois à Clint Eastwood de ne pas être très sobre et de s'adresser à une chaise vide: il vaut mieux oublier cet incident pathétique de la dernière campagne électorale américaine et courir voir son Jersey Boys. Pour ceux à qui le titre et le thème tiré d'un "musical" feraient peur, ce n'est pas une comédie musicale où les personnages expriment leurs émotions en chantant et en dansant: c'est le "biopic" à trois voix (manque étrangement celle du personnage principal) d'un groupe des années 60, "The Four Seasons", dont l'inculture attachante leur fait imaginer que Vivaldi est sans doute un Italien proche de la Mafia, comme ils le sont eux-mêmes. Inculte moi-même, j'avoue que je n'avais jamais entendu parler de ce groupe avant de découvrir, dans le film, qu'ils avaient créé quelques-uns des grands tubes des années 60 et 70. Fans de Claude François, réjouissez-vous... 


Le classique Clint nous offre une belle histoire d'amitié, d'amitié extrême où l'on se dévoue, se sacrifie, où l'on perd tout, sauf le sentiment d'avoir accompli une œuvre, aussi futile soit-elle, mais la futilité n'est-elle pas essentielle? Il y a du Flaubert dans le final amer et désenchanté: "C'est là ce que nous avons eu de meilleur" dit en substance le héros évoquant le plus beau souvenir de sa vie, que nous n'avons pas encore vu et qui va clore le film de manière magistrale. Restez jusqu'au bout du ballet euphorisant, il réserve une surprise. Et avant cette scène, nous aurons eu droit aussi à des retrouvailles émouvantes comme une reprise, peut-être un peu trop sentimentale, du Temps retrouvé. On trouve aussi, dans ce film dont on sort à la fois ragaillardi, plein de nostalie et pessimiste, une auto-citation de l'ancien héros de westerns, un hommage aux deux Douglas, Kirk (Le Gouffre aux chimères) et Michaël (Liberace). 
Vous voyez que Clint Eastwood est un chouette type quand il fait du bon cinéma.

vendredi 14 mars 2014

LE VENT SE LEVE

Ce qui m'a toujours un peu agacé chez Hayao Miyazaki, c'est sa pseudo-philosophie que je qualifierais de "new age de bas étage", si des personnes, plus compétentes que moi dans ce domaine, ne m'avaient assuré qu'elle fait partie intégrante de la culture nipponne. J'ai toujours été allergique à ces histoires de déesse des mers, de nature protectrice, de château ambulant. En revanche, quand Miyazaki traite de problèmes et de sentiments humains, je trouve ses films particulièrement fins et touchants. Je suis tout prêt à admettre qu'un cochon soit aviateur dans Porco Rosso, à partir du moment où celui-ci est aux prises avec des préoccupations politiques qui m'intéressent. Je suis tout prêt à admettre que la petite Ponyo soit issue des flots à partir du moment où Miyazaki me parle aussi des rapports entre de petits enfants et les pensionnaires d'une maison pour vieillards. Je suis tout prêt à admettre l'existence d'un monstre poilu à partir du moment où Mon voisin Totoro est le fantasme rassurant d'orphelins qui viennent de perdre leur mère... (et que les roses trémières sont belles!)
Dans Le vent se lève, il est question du rêve que poursuit un jeune ingénieur: celui de construire des avions qui volent dans le ciel, qui nous éloignent, mais jamais complètement, des soucis de nos vies bassement quotidiennes et banalement terribles, marquées par les catastrophes naturelles et la mort. Et l'idéaliste parviendra à concrétiser son souhait venu de l'enfance. Belle leçon d'optimisme et de confiance en l'homme. Et qu'on ne vienne pas dire que ces avions deviendront d'horribles engins meurtriers au service de l'Empire allié aux nazis. Miyazaki, loin d'esquiver le problème, le traite clairement et ceux qui mettent en doute l'idéologie de son film ne l'ont pas bien vu.
Il est question aussi d'une très belle histoire d'amour, pathétique, où plane l'ombre de Thomas Mann et d'Hans Castorp.
Les dessins et l'animation sont particulièrement réussis, Miyazaki "montre" le vent, comme je ne l'avais jamais vu.
Et quel plaisir d'entendre du français dans un film japonais. "Le vent se lève! Il faut tenter de vivre!" C'est du Paul Valéry. C'est aussi une belle leçon de vie, de résistance face au malheur.



dimanche 23 février 2014

IDA

C'est un film court, en noir et blanc, au format carré. Voilà déjà qui nous change de la production courante et qui fait souffler un vent presque léger sur ce cinéma pourtant austère.
Même si elle n'est plus ce qu'elle était, la nostalgie est parfois un sentiment bien agréable et, ici, on revient en terrain de connaissance: on se retrouve dans les teintes à la fois mélancoliques et pleines d'espérance des films de la grande époque des cinéastes "de l'autre côté du rideau de fer". En redécouvrant son pays, la Pologne, P. Pawlikowki a voulu en revisiter le cinéma, tout en se gardant d'un simple copiage ou d'une relecture post-moderne. Le spectateur est plongé dans les années de déstalinisation, dans la renaissance du sentiment religieux (si tant est qu'il ait jamais disparu), surtout dans les souvenirs sordides de l'antisémitisme polonais. Le réalisateur nous parlerait-il d'aujourd'hui à travers le filtre d'une situation qui paraît révolue? Le passé est en effet toujours là, à fleur de peau, à fleur de terre.
Paradoxalement, ce film au rythme lent, méditatif, réserve des surprises scénaristiques qu'il serait maladroit de révéler: tel personnage féminin, la cigarette aux lèvres, le verre d'alcool à la main, la tenue négligée, quitte l'amant d'une nuit; on songe immédiatement à "une femme de mauvaise vie", il n'en sera rien. A un autre moment, alors que l'écran est vide de toute présence, et que le tourne-disques hurle dans une pièce ensoleillée, il se produit un événement étonnant mais cohérent dans l'ensemble de l'œuvre. Quant à la décision finale de l'héroïne, elle surprend aussi tout en étant dans la droite ligne de ce qui a été dit plus tôt dans le film.


Ida est un moment merveilleux d'élégance et de réflexion, où le réalisateur sait arrêter son plan juste au moment où il risquerait de tomber dans le formalisme ou le didactisme. Ça s'appelle la grâce.

samedi 1 février 2014

12 YEARS A SLAVE



"En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? - J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ? - Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : " Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. " Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible. "

C'est Voltaire qui a écrit ces quelques lignes dans Candide en 1758.
En 2014, Steve Mac Queen nous tartit pendant 2h13 pour nous "apprendre" la même chose, avec des cris, du sang, des acteurs qui roulent des yeux, des esclaves chantant si bien leur souffrance dans les champs de coton ... et un Brad Pitt grotesque en Jésus-Christ Superstar qui vient tout arranger à la fin, où tout le monde pleure et se serre bien fort dans les bras.
Le très puritain Steve Mac Queen, qui considérait déjà dans Shame que la sodomie était l'abomination de la désolation, nous fait à présent le coup du film à Oscars qui veut donner des leçons (c'est vrai que la culture générale des Américains...) et il ose comparer les malheurs (bien réels évidemment) de son peuple avec les malheurs des autres populations qui sont, à côté, de la roupie de sansonnet: " 5 ans de guerre en Europe et des centaines de films; 400 ans d'esclavage des Noirs et quelques films seulement." Franchement, je trouve ce genre de propos assez déplaisants et, à tout prendre, je préfère Django unchained.

vendredi 31 janvier 2014

PHILOMENA

Stephen Frears est un cinéaste vraiment très intéressant: quel que soit le film, il parvient à faire écrire (ou récrire si nécessaire) un scénario de qualité, à engager des acteurs parfaits (ici Judi Dench et Steve Coogan), et à assurer une mise en scène fluide, presque invisible. Certains crient au classicisme, voire à l'académisme: moi, je dis :"Vive le cinéma!"
Peu importe que le film s'inspire de faits réels, comme c'est aujourd'hui la grande mode; l'important est la relation qui se crée entre les deux personnages principaux, deux cabossés de la vie, l'un pour des raisons bassement matérialistes et politiques, l'autre pour des raisons autrement tragiques. Ils ne forment pas un couple, mais un duo dont chacun des membres va peu à peu se rapprocher de l'autre. C'est le thème central de toutes les "comédies américaines" et il arrive que l'on sourie ou même que l'on rie dans ce film. Cependant, c'est la colère anticléricale exprimée par le personnage interprété par Coogan (co-auteur du scénario) qui constitue l'élément le plus sain de l'œuvre: il y a des choses que l'on n'a plus l'habitude d'entendre au cinéma et cela fait du bien de partager l'indignation soulevée non seulement par le comportement de la vieille sœur sadique confite dans ses préjugés assassins, mais aussi et surtout par la complicité criminelle des si gentilles (en apparence) religieuses du présent de la narration.
Pourtant, le film ne transpire pas l'aigreur et l'esprit de vengeance: le journaliste comprenant Philomena finira par lui offrir une statuette saint-sulpicienne et par admettre le romanesque naïf de celle qu'il aura appris à connaître et à apprécier, après l'avoir considérée d'un œil mercantile comme un simple sujet d'article de journal "près des vrais gens".
Il est rare de voir ainsi mêlés la colère et la compréhension, l'humour et la tragédie. Frears est vraiment un cinéaste très intéressant.


mercredi 15 janvier 2014

TEL PERE TEL FILS

Le système scolaire japonais est impitoyable. Pour être admis dans une "bonne " école primaire, un enfant est obligé de mentir, de faire croire au jury qu'il mène une vie familiale exemplaire et qu'il a passé notamment une partie de ses vacances scolaires à faire du camping avec son père attentionné; l'examen d'entrée terminé, le père, qui a assisté à l'entretien, s'étonne de découvrir qu'il aurait passé ses congés sous la tente avec son rejeton. Celui-ci lui révèle alors que c'est son "professeur du soir" chargé de l'entraîner à l'épreuve qui lui a conseillé de présenter cette image de la famille idéale pour être accepté dans cette école recherchée... Cette scène inaugurale fait froid dans le dos...
Pourtant, l'intrigue qui va être immédiatement mise en place dès la seconde scène semble inspirée de La vie est un long fleuve tranquille: il s'agit en effet d'une histoire de substitution d'enfants. Mais on est loin de la comédie avec le film de Hirokazu Kore-eda: c'est une réflexion délicate et approfondie sur la filiation. Qu'est-ce qu'être père? Le père est-il simplement le géniteur qui a donné de sa semence ou celui qui a donné de son temps à l'enfant? La réponse est loin d'être évidente et la prise de conscience du père, déçu de voir que son fils n'est pas l'ambitieux qu'il est lui-même, sera douloureuse: il en viendra à être soulagé d'apprendre que si "son fils" lui ressemble si peu, c'est qu'il n'est pas le sien; mais il aura les pires difficultés à se faire admettre par son "vrai" fils, habitué à un tout autre type d'éducation et à une famille chaleureuse.

Les deux familles
Parfois, l'opposition entre les deux familles est un peu trop appuyée: l'une froide, vivant dans un univers aseptisé avec apprentissage obligatoire du piano, l'autre vivant dans une bohème sympathique où le père partage les bains et les jeux de ses enfants; parfois aussi, la mise en scène trop explicite gagnerait à être plus fine: ainsi quand les deux chemins, l'un emprunté par l'un des pères, l'autre suivi par l'un des fils, finissent par se rejoindre; parfois enfin, un thème n'est pas suffisamment exploité: par exemple, celui de la fratrie; certes, l'un des pères a des relations conflictuelles avec son frère, mais pratiquement rien n'est dit du désir que pourrait ressentir un enfant non seulement de rejoindre le papa et la maman qui l'ont "élevé", mais aussi ses frères et sœurs avec qui il a tout partagé.
Malgré ces petites réserves, nous avons là un excellent film qui nous invite sans didactisme, sans réponse toute faite, à réfléchir à des problèmes existentiels et essentiels. Les acteurs sont formidables: les mères particulièrement et l'interprète du rôle principal qui est un chanteur très connu au Japon: Masahuru Fukuyama (quand on regarde certains de ses clips, on est surpris de la métamorphose...) 
Quelques scènes du film, qui a obtenu le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, resteront gravées dans notre mémoire: celle de la sélection scolaire mentionnée plus haut; celle aussi de la révélation sur les circonstances de la substitution des enfants à la maternité; celle, enfin, où un enfant adopté se dresse violemment pour protéger "sa mère" contre celui qu'il considère comme un agresseur: ce dernier lui indique que le problème qui l'oppose à sa mère ne le concerne pas et l'enfant rétorque : "Cela me regarde parce que c'est ma mère!"

Les deux pères

Les deux mères

Le père partageant le bain des enfants

samedi 11 janvier 2014

THE LUNCHBOX

Bombay ne se limite pas à la production d'interminables films musicaux, d'ailleurs généralement savoureux de kitsch assumé. Ritesh Batra nous envoie d'Inde une charmante comédie qui nous en apprend plus sur son pays, avec délicatesse et charme, que A touch of sin sur la Chine, avec violence et cynisme.
Le point de départ de l'intrigue est une vulgaire gamelle, qu'une épouse éternellement confinée dans sa cuisine (l'émancipation de la femme indienne n'est pas encore à l'ordre du jour) prépare avec amour,  pour son mari qu'elle espère ainsi reconquérir par le ventre plutôt que par le cœur. Mais l'indifférent, qui n'a même pas remarqué la sublime beauté de l'actrice Nimra Kaut, préfère sa maîtresse, que nous ne verrons d'ailleurs jamais.
Comme on est au cinéma, et pas dans la vie réelle où les professeurs de Harvard eux-mêmes s'étonnent que les milliers de gamelles anonymes parviennent à destination sans incident, la "lunchbox" amoureusement préparée va atterrir sur le bureau d'un veuf, aspirant à la retraite. De ce quiproquo culinaire et de cette erreur de livraison va découler une correspondance entre la jeune épouse délaissée et le vieil homme aigri.
Enfin un film où les employés de bureau travaillent avec des stylos antédiluviens, et où le courrier ne s'échange pas à coups de mails ou de SMS. Les personnages s'écrivent " à la main" sur des feuilles de papier placées dans les récipients destinés à la nourriture. C'est rafraîchissant!..
Le film évoque l'évolution de l'antipathique et misanthrope pré-retraité - qui accueille avec froideur son futur remplaçant, plein d'une bonne volonté naïve et envahissante - vers la tendresse amoureuse et l'ouverture à l'autre. Avec une infinie délicatesse, il refusera pourtant de nouer une quelconque liaison avec la jeune femme quand il s'apercevra, au cours de leur premier rendez-vous "visuel", de la différence d'âge qui les sépare. Mais là n'est pas la fin du film....
Ce n'est pas le chef d'œuvre de l'année, ou même du trimestre, mais voilà un film agréable, bien écrit, bien interprété, réalisé avec soin et qui, l'air de ne pas y toucher, traite de situations existentielles passionnantes: la solitude qui mène à l'aigreur, la naissance de l'amitié, l'amour impossible, la place de la femme dans la société indienne. C'est déjà pas mal pour une comédie...



samedi 4 janvier 2014

INSIDE LLEWYN DAVIS

Le dernier opus en date des frères Coen est un nouveau témoignage de leur talent, pour ne pas dire "génie", proprement singulier et véritablement original, loin des clichés enfilés dans des films qui ne reposent que sur des "pitches"(?) squelettiques. Comment être drôle sans être cynique? Comment amuser le public sans mépriser ses personnages? A ces questions, le film relatant l'histoire de Llewyn Davis répond magnifiquement bien. Un looser qui a du talent mais qui arrive peut-être trop tôt dans l'histoire de la musique américaine, un homme qui ne fait que de mauvaises rencontres dans des lieux improbables, un homme qui rate tout, qui n'est pas foncièrement sympathique avec sa petite amie, qui est même incapable de garder le chat qu'on lui a confié: bref, un anti-héros attachant, drôle sans le vouloir. Si l'on ajoute une musique mélancolique et gaie, une construction qui réserve des surprises et une scène finale rétrospectivement prophétique, on n'est pas loin du chef d'œuvre.

Voici Oscar Isaac chantant avec Justin Timberlake une chanson d'anthologie:


Parmi ses rencontres, celle avec John Goodman restera une séquence culte:


Deux scènes m'ont surtout paru intéressantes par l'attention minutieuse et respectueuse que les Coen attachent à des personnages grotesques dont il serait facile de se moquer: la secrétaire de l'impresario de Llewyn Davis, dont on peut dire qu'elle pâtit d'un physique ingrat, est traitée avec une empathie rare; les deux couples de professeurs d'université sont un modèle de caricature généreuse. Quand on réussit de telles silhouettes au cinéma, c'est qu'on est très fort...