Il est quelquefois étonnant de se retrouver presque tout seul de son avis: on se demande alors si tous les autres ont tort et si on est vraiment l'unique à avoir raison. C'est plus triste quand une personne que vous aimez bien, que vous estimez vous a conseillé un livre, ou un film, et que vous, vous ne l'appréciez pas du tout. Cette personne a-t-elle pour autant perdu votre respect? N'a-t-elle vraiment aucun goût? Le cas s'est présenté récemment avec le roman de l'islandaise Audur Ava Olafsdottir qui a obtenu un gros succès, des critiques élogieuses, et que des connaissances bien intentionnées à mon égard m'ont vivement recommandé. Le titre français est Rosa candida. Pour ma part, je n'ai trouvé aucun charme à ce récit d'une platitude rare, aussi bien par le sujet que par le style. "Style" est un bien grand mot, puisque, dans la traduction, le roman se compose d'une enfilade de phrases toutes construites sur le même modèle: sujet, verbe, complément. Quant au sujet, il est digne de ce que les Américains appellent une comédie sentimentale. Si vous aimez le romantisme dévoyé du XXIème siècle, cela vous plaira peut-être. Il y est question de fleurs, de papa qui s'occupe d'un enfant, etc. Autrefois, le rôle aurait été interprété, dans une adaptation cinématographique, par Hugh Grant; aujourd'hui, il le serait par Matt Damon, que j'aime beaucoup au demeurant. Pendant que je lisais le bouquin, et que je m'énervais, je me posais sans cesse la question: "Mais que peut-on bien trouver à ce roman?" Et je me demandais surtout comment les personnes qui me l'avaient conseillé avaient pu trouver des qualités à ce texte, non pas infâme ou indigne, mais seulement écrit comme une liste de commissions. Cependant, la préoccupation intime qui me taraudait vraiment était la suivante: "Et si c'était moi qui me trompais? Et si vraiment mon goût ne valait rien?" Une petite voix, tout au fond de moi, me murmurait: "Non, c'est toi qui as raison..."