De toutes les séries télévisées américaines diffusées en France, la seule dont je ne manque aucun épisode, grâce aux coffrets DVD, est Glee.
D'abord, parce qu'elle est l'unique, à ma connaissance, à aborder un genre que j'adore au cinéma: la comédie musicale ou musical. On ne compte plus les héros policiers ou détectives (hommes, femmes, Noirs, Blancs, en groupes, solitaires, à New-York, à Miami, cherchant partout des os ou des poils pubiens) : une véritable indigestion d'enquêtes, de meurtres, de fines déductions ou de coups de revolver catégoriques. Dans Glee, l'épisode-pilote a eu le culot de présenter un prof d'espagnol exerçant dans un petit lycée du fin fond de l'Ohio, parlant très mal la langue qu'il enseigne et essayant de reconstituer une chorale dévastée par l'éviction du précédent responsable, accusé de serrer d'un peu trop près les jeunes gens.
Will Schuester, le prof d'espagnol (Matthew Morison) |
Comme dans tout bon vieux musical qui se respecte, l'intrigue est basée sur un work in progress: les répétitions vont amener le groupe de débutants ringards jusqu'aux championnats nationaux des chorales de lycées. La tradition de la comédie musicale, d'An American in Paris à Singing in the rain, admet que les chansons ne soient pas originales, mais reprises de succès déjà établis: c'est le cas dans Glee où les airs que l'on entend sont tous des tubes contemporains ou de grands standards du genre.
Mais là où la série devient vraiment intéressante, c'est dans sa façon d'imbriquer la fiction et la réalité de manière complexe et inattendue: ainsi, l'un des acteurs principaux, Corey Monteith, joue un piètre danseur. Dans la réalité, l'interprète est lui-même raide, empesé dès qu'il esquisse un pas chorégraphié. Le scénario joue de cette faiblesse pour en faire un des ressorts de certains gags.
Finn Hudson, le "mauvais danseur" (Corey Monteith) |
Kurt Hummel (Chris Colfer) |
Blaine Anderson (Darren Criss) |
Quant au personnage du handicapé sur son fauteuil roulant, il est joué par un acteur qui dispose de l'usage de ses quatre membres.
En fait, la série oscille sans cesse entre le 1er degré, qui n'hésite pas devant le pathos le plus mélo, et l'auto-caricature. Dès que Kurt est ému, il verse une petite larme et il prend bien soin de préciser qu'il est toujours en train de pleurer. Comme la chorale présente deux homosexuels, deux homosexuelles, une Latino, un Chino, un handicapé, un chrétien quasi-intégriste, une blonde dans toutes les acceptions du terme, etc. etc., il n'est pas rare de voir le groupe se qualifier lui-même de chorale pour pub Benetton.
Plus sérieusement, on pourrait ainsi étudier la série sous l'angle de la "conscience de rôle": chaque personnage est en représentation et le précise explicitement. Nous sommes tous des acteurs pour les autres et nous jouons tous sur le "Grand théâtre du monde": Shakespeare, Calderon, Corneille en ont parlé avant Glee.
Autre intérêt de la série: les numéros musicaux. Ils sont tous parfaitement réglés et la chorégraphie est parfois stupéfiante, surtout quand on imagine les conditions de tournage qui doivent être celles d'une production "à la chaîne." Et chaque épisode contient quatre ou cinq chansons, ré-orchestrées, enregistrées, mises en scène. Il est vrai que, pour les solos, la caméra a plutôt tendance à se contenter de tourner autour de l'interprète; mais à côté de ces quelques signes de paresse, que de trouvailles! Il y a plus d'idées dans un épisode de Glee que dans toute une saison des Experts...
Cette série qui apparemment prône la croyance dans le rêve américain ("Allez jusqu'au bout de vos rêves" ne cesse de répéter le professeur à ses élèves) nous montre aussi que ces lycéens seront en réalité peu nombreux à parvenir à réaliser leur souhait le plus cher: à la fin de la 3ème saison, l'héroïne, Rachel Berry, dont l'idole est Barbra Streisand, sera certes acceptée dans une grande école new-yorkaise pour y suivre une formation à l'art de la comédie musicale; mais la candidature de son condisciple Kurt sera rejetée. Si la Latino sera admise à Yale, le mauvais danseur se verra contraint d'abandonner toute velléité d'entrer à l'Actor's studio et le bad boy de la chorale s'exilera en Californie pour y nettoyer les piscines des cougars de San Francisco.
Quant à la situation des profs, on peut dire que Glee n'enjolive pas vraiment le tableau: lorsque l'enseignant d'espagnol apprend que son épouse attend un enfant, il se voit dans l'obligation de quitter son poste, tant la modicité de son salaire ne lui permet pas de subvenir aux besoins de sa future famille. Et ne parlons pas des multiples pressions financières qui s'exercent sur l'existence même de la chorale.
Rachel Berry (Lea Michele) |
Quant à la situation des profs, on peut dire que Glee n'enjolive pas vraiment le tableau: lorsque l'enseignant d'espagnol apprend que son épouse attend un enfant, il se voit dans l'obligation de quitter son poste, tant la modicité de son salaire ne lui permet pas de subvenir aux besoins de sa future famille. Et ne parlons pas des multiples pressions financières qui s'exercent sur l'existence même de la chorale.
Paradoxe typiquement américain: cette série très "gay friendly" qui prône la tolérance, l'acceptation de l'autre dans toutes ses différences, et révèle les limites de l'american dream est diffusée sur le network le plus réactionnaire des Etats-Unis: Fox.