Sous la lune, les garçons noirs ont l'air bleu.
C'est le titre de la pièce de Tarrel Alvin Mc Craney d'où est tiré le film de Barry Jenkins: trois moments (enfance, adolescence, âge adulte) dans la vie de Chiron, interprété par trois acteurs différents. Un film sensible, émouvant, qui évite le pathos mais pas toujours les clichés ou les mouvements de caméra inutiles. Il illustre de manière parfois naïve la fausseté du célèbre dicton: "L'habit ne fait pas le moine". Ici, il le fait: le gamin qui découvre son homosexualité est malingre et en butte à la violence de ses camarades; l'homme qui la cache a revêtu le costume, la musculature (et les dents) du rappeur gangsta. Tout est donc dans l'apparence: la remarque est juste mais un peu limitée.
Plus intéressante est la réflexion sur la filiation: l'enfant Chiron (que l'on surnomme à cet âge de sa vie Little) doté d'une mère droguée, s'est trouvé un père de substitution en la personne d'un dealer costaud mais gentil, bienveillant. A la fin, il imitera cet homme tant dans son allure physique que dans son comportement de "dur". De même, c'est ce gangsta au cœur tendre qui le conduit sur la plage où, plus tard, au clair de lune, il découvrira le plaisir physique avec Kevin.
La plus belle des trois grandes séquences du film est la dernière, lorsque Chiron et Kevin (interprété par André Holland, le médecin noir de The Knick, la série de Soderbergh) se retrouvent. Toute en finesse et complexité, elle est poignante comme le souvenir d'un unique moment heureux et le regret d'une vie peut-être gâchée.
L'ensemble est loin d'être déshonorant mais manque de profondeur: on craint aussi, qu'après les cow-boys de Brockeback Mountain, on ait droit prochainement à un couple de boxeurs ou de footballeurs...