mardi 9 juillet 2013

QUE MA JOIE DEMEURE

J'ai vu hier en DVD, avec près d'un an de retard par rapport à sa création théâtrale, le spectacle d'Alexandre Astier Que ma joie demeure, consacré à Jean-Sébastien Bach. Évidemment, on y retrouve l'aspect comique de la série Kaamelott, basé sur le décalage entre le sérieux canonique du sujet traité et le niveau de langue utilisé. Ce ressort à nouveau employé ici permet à Astier non seulement des trouvailles verbales fort amusantes, parfois faciles, mais surtout il rend les personnages étrangement proches de nous, humains et non engoncés dans leur légende ou leur histoire. Astier rend le roi Artur ou le compositeur Bach souvent grossiers, jamais vulgaires.
Mais ce qui m'a paru le plus intéressant dans ce "one man show", c'est la réflexion engagée sur la création artistique, ici musicale. Bach apparaît comme un musicien obsédé de technique, de régularité et Astier nous ébouriffe  par sa connaissance érudite du solfège et des instruments, de l'orgue en particulier. Il nous montre par là qu'on ne s'improvise pas artiste, qu'on n'est pas doué "naturellement" ou par opération divine, que tout art repose avant tout sur une grammaire; même s'il peut arriver que, parfois, l'inspiration naisse de la disposition de miettes de pain dans une boîte en fer blanc, ces miettes figurant des notes sur une portée. Mais la ligne musicale ainsi découverte par hasard va être travaillée longuement par le compositeur avant de lui donner entière satisfaction. Bach remerciera Dieu de lui avoir apporté le don initial par l'entremise prosaïque des miettes, mais l'œuvre finale sera le fruit de son intense travail.
Cependant, cette soif de cadence, de mouvement régulier, d'application stricte du solfège, souvent illustrée par des dessins au tableau, n'est pas synonyme de froideur technicienne: Bach ne se contente pas de respecter des règles, et de broder interminablement sur deux notes dans des contrepoints ou des fugues infinis, en variant les demi-tons ou  les clés. Cette véritable phobie de l'irrégularité, ce besoin maladif de se réfugier dans la contrainte, le spectateur découvre rapidement d'où Astier les fait naître: Bach a perdu huit enfants dont le cœur s'est soudain emballé. Leur vie s'est enfuie parce que l'un de leurs organes n'a plus obéi à la la loi. Les différentes parties d'un corps humain doivent être en parfait état de marche, comme les innombrables parties de ces orgues que Bach est chargé d'expertiser. La qualité de l'instrument - clavier, tuyaux, tirettes - est essentielle à la qualité de la musique.
Au beau milieu de son travail créatif, il arrive souvent à Bach de s'interrompre parce qu'il a cru entendre son bébé pleurer. La vie est plus importante que l'art.
Cet homme, contraint de donner des leçons de musique à un public d'ignares qu'il méprise, est aux ordres des puissants dont il dépend financièrement; il est aussi un hypocondriaque, que sa propre santé inquiète et qui répète à plusieurs reprises sur différents sujets: "Je ne sais pas".
Voilà un spectacle qui fait rire et qui, mine de rien, nous fait réfléchir sur la condition d'artiste: on est loin de la conception romantique du créateur inspiré et exhibitionniste, guide messianique du peuple. Bach est un homme comme les autres, surtout pas un "original" narcissique: il se trouve qu'il est "simplement" un génie...




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