samedi 24 décembre 2016

MANCHESTER BY THE SEA

Manchester est un petit port de pêche de la côte Est des Etats-Unis, pas très loin de Boston. C'est dans la banlieue de cette métropole qu'est venu se réfugier Lee, après la tragédie absolue qu'il a vécue et dont il se sent atrocement responsable. Son couple s'est brisé et il vit maintenant seul,  bougon, impoli, homme à tout faire d'une cité d'immeubles.
Au début du film, son frère meurt en le désignant tuteur de son jeune fils. Voilà donc Lee de retour au bord de la mer, retrouvant sa belle-sœur divorcée qui a refait sa vie avec un catholique intégriste, auprès desquels le jeune Patrick ne se sent guère à l'aise, et son ex-épouse qui, dans une scène bouleversante, le supplie d'oublier les paroles horribles qu'elle lui a adressées au moment de la tragédie.  
Comme on est dans un récit réaliste, profondément vrai et humain, rien ne se passera tout à fait comme prévu. Le neveu poursuit sa complicité tendre d'autrefois avec son oncle, du temps des jours heureux et des parties de pêche: comme il a grandi, il le charge à présent de le conduire en voiture à ses nombreux rendez-vous amoureux, - en échange, le jeune homme ménage des rencontres entre son tuteur désigné, rétif aux plaisirs de l'existence, et les mères de ses copines. Mais Lee paraît désormais imperméable à tout sentiment, tout contact humain: il ne peut reporter son amour mort sur qui que ce soit. De son côté, l'adolescent, pas toujours malléable, refuse de suivre son oncle à Boston, ce qui le contraindrait à quitter ses ami(e)s, sa vie.
Casey Affleck est extraordinaire de justesse et d'émotion; sa voix, son immobilité rocheuse et ses soudains éclats de violence donnent l'image de cet homme à jamais abattu, désormais incapable de goûter la vie. Quant à la douleur de Michelle Williams, elle transperce le cœur du spectateur le plus endurci et le jeune Lucas Hedges ne sombre pas dans les clichés de l'adolescent pénible par son indifférence au sort des adultes. 
Une histoire touchante bien racontée, une photographie hivernale sans fioritures, des acteurs parfaits: n'est-ce pas ce que l'on appelle un bon film?



vendredi 16 décembre 2016

BACCALAUREAT

MENTION ASSEZ BIEN

En Roumanie, la pratique du tiers-temps (1/3 de temps supplémentaire par rapport à celui imparti à tous pour l'épreuve) accordé aux candidat(e)s au bac présentant un handicap physique permanent ou momentané n'existe pas. La jeune Eliza a été agressée la veille de l'examen et, blessée, il lui est impossible d'écrire à la vitesse qui lui permettrait de terminer son devoir correctement. Or, elle a absolument besoin de son bac pour obtenir une bourse d'études dans de prestigieuses universités anglaises où elle a été admise grâce à ses excellents résultats au lycée. Comment décrocher son bac avec une moyenne supérieure à 18/20 alors que l'on est dans l'incapacité accidentelle de rendre une copie réellement satisfaisante?
Voilà l'enjeu du dernier film de Cristian Mungiu, le réalisateur de 4 mois, 3 semaines et 2 jours et d' Au-delà des collines: Romeo, le père d'Eliza, va tout faire pour permettre à sa fille d'obtenir ce précieux passeport qui permettrait de quitter un pays dans lequel il avait, un moment, placé tous ses espoirs mais où ne règne plus maintenant qu'une corruption généralisée, banalisée.
La famille vit dans un pauvre appartement d'une cité sordide où, pour des raisons obscures, les vitres des fenêtres sont régulièrement brisées. En veut-on à ce médecin et pourquoi? Lui semble persuadé qu'il est suivi, menacé.
Le policier auprès de qui Romeo va porter plainte à propos de l'agression de sa fille lui conseille de s'adresser à un personnage influent qui a besoin d'un rein : le médecin pourrait sans doute placer son dossier au-dessus de la pile des candidats à la greffe. Au cours de ses démarches, Romeo va rencontrer le responsable du centre d'examen qui se propose de désanonymer par un signe la copie d'Eliza afin que le correcteur la repère et la surévalue. 
Toutes ces opérations apparaissent aux yeux des protagonistes comme des services rendus, des gestes de bienveillance auxquels on répond par d'autres gestes de bienveillance. Nulle volonté de nuire; au contraire, le désir de faire plaisir en échange d'un cadeau à venir ou déjà offert.  Un rein contre une bonne note.
Il faut ajouter que Romeo a une maîtresse, que celle-ci a un enfant mutique, qu'un des personnages transvase d'un bocal à l'autre les billes qui représentent les jours vécus et ceux qui lui restent à vivre, que le père soupçonne un moment le petit ami de sa fille d'avoir assisté à l'agression d'Eliza et de ne pas avoir réagi, qu'un chien est heurté par une voiture, etc, etc. A un moment, on a l'impression que la barque est un peu trop chargée et que la volonté de démonstration finit par se retourner contre le désir de peindre une humanité engluée dans une société pourrie. Sans mettre en doute l'authenticité des faits décrits, on peut éprouver un certain ennui à voir s'accumuler sur les personnages une telle somme de malheurs. La mise en scène, récompensée à Cannes, accentue l'impression d'étouffement désespéré, par une suite de longs plans séquences où les acteurs sont systématiquement filmés de profil. Il est alors difficile de s'intéresser vraiment à des personnages dont on ne capte pas le regard.
Restent des questions intéressantes: quand s'arrête la volonté d'être solidaire de son prochain et quand débute la corruption? où se situe la frontière entre la manipulation acceptable entre êtres humains et le délit? Eliza n'a-t-elle pas fini par obtenir du temps supplémentaire en pleurant devant son examinateur?






mardi 6 décembre 2016

SULLY

Si la fluidité de la narration, la clarté du récit sont les principales caractéristiques du classicisme, alors Sully, le dernier film de Clint Eastwood, est bien une œuvre classique.
Le héros n'en est pas un: c'est un pilote d'Airbus qui, après 42 années de bons et loyaux services, continue à faire son travail sans passion exubérante mais avec la maîtrise parfaite de son appareil, de ses réactions et la conscience lucide de son immense responsabilité. C'est Tom Hanks, qui s'améliore de rôle en rôle et qui s'est fait ici la tête du vrai commandant de bord que l'on découvre au générique final.
Sully (c'est son surnom) est appelé à témoigner et à se défendre devant une commission d'enquête désignée par les compagnies d'assurances, - commission dans laquelle on reconnaît la Mme White de la série Breaking bad et le père de Kurt dans Glee: on lui reproche curieusement d'avoir sauvé la vie de tous les passagers et membres d'équipage d'un avion frappé dès le décollage par une nuée d'oiseaux et ne disposant plus d'aucun moteur. Selon le protocole et les ordres donnés par la tour de contrôle, le commandant aurait dû rejoindre l'aéroport de La Guardia; son instinct, son expérience lui font rejeter cette solution et tenter d'amerrir sur l'Hudson, ce qui n'a jamais été fait avant lui. Si les gens dans la rue voient en Sully un véritable héros, ce qui surprend beaucoup ce paisible pré-retraité, en revanche les simulations numériques démontrent que le retour sur l'aéroport d'origine était possible et que le commandant a pris des risques inconsidérés.
Celui-ci va alors montrer que les simulations ne prennent pas en compte un facteur essentiel: le facteur humain face à une situation totalement inédite, non prévue dans "les règlements".
Le film n'est pas une ode à l'héroïsme individuel: il insiste au contraire sur la parfaite osmose entre le pilote et le co-pilote, et surtout sur la nécessaire intervention combinée de tous les sauveteurs au moment où l'avion percute les eaux glacées de l'Hudson.
L'accident est d'abord vu à travers les cauchemars de Sully, qui ne peut qu'être marqué par le rapprochement évident avec les événements du 11 septembre, puis montré à plusieurs reprises: la reconstitution de l'événement est parfaite, les phobiques des transports aériens sont priés de s'abstenir.


Un film humaniste donc, qui exalte la solidarité, le travail bien fait, l'humour aussi et questionne la validité de la confiance accordée aveuglément aux outils nouveaux de notre ère numérique. Entre l'ordinateur et la décision humaine, Eastwood n'oublie pas le rôle du jugement de l'homme, formé par l'intelligence et l'expérience. Est-ce bien un défenseur de Trump qui a réalisé ce film?