lundi 31 octobre 2016

VOYAGE A TRAVERS LE CINEMA FRANCAIS

Seul reproche à adresser au passionnant doc' de Bertrand Tavernier: sa durée. Face à une telle masse d'informations et d'analyses, le spectateur, même cinéphile, a du mal à rester attentif plus de trois heures. Les séries télévisées, débitées en épisodes d'environ une heure, ont fini par formater nos capacités de concentration.
Tavernier évoque les films de sa vie. De sa vie, il ne nous dira pas grand chose: son séjour au sana, son père résistant qui a caché pendant la guerre le couple Aragon-Triolet, ses premiers emplois d'assistant et d'attaché de presse. Son voyage à travers le cinéma français s'arrête quand il devient lui-même réalisateur.
Des films, en revanche, il en dira beaucoup plus: de ceux de Becker à ceux de Godard. Ses analyses minutieuses et pertinentes de certains extraits sont particulièrement enrichissantes. Il nous fait redécouvrir des perles rares d'Edmond T. Gréville ou de Jean Sacha, metteurs en scène oubliés ou dévalorisés.  Les épisodes les plus intéressants concernent Gabin et Renoir. Du premier, il remet à sa juste place l'immense talent, comparant les démarches de plusieurs personnages qu'il a interprétés, montrant par là que les jugements sur le prétendu jeu outré des derniers films ne sont que des propos paresseux qui se répètent sans fondements. Ce que l'acteur dit de Renoir ne manque pas de sel.
L'ensemble est plein d'enthousiasme et on n'a qu'une envie: revoir tous ces grands films qui ont formé Tavernier, et qui nous ont formés aussi. Certes, il en manque et le choix est subjectif, partial. Mais c'est ce qui fait le prix d'une telle anthologie personnelle.


mercredi 26 octobre 2016

MOI, DANIEL BLAKE

LE VIEUX N'A PAS PERDU LA MAIN

Ken Loach (87 ans) nous offre à nouveau un film émouvant, humain, drôle, roboratif. Si vous vous attendez à une caméra portée à la main qui suit les personnages filmés de dos, à un montage syncopé ou ostensiblement retors, passez votre chemin. Cela n'a jamais été le style du réalisateur anglais et cela ne le sera jamais.
En revanche, si vous appréciez le cinéma qui s'intéresse au monde contemporain et surtout aux gens d'aujourd'hui, vous serez heureux. Vous découvrirez, sans didactisme, ce qui se passe lorsqu'on est vieux mais encore capable et désireux de travailler, et qu'un problème cardiaque ne vous handicape pas totalement tout en exigeant de vous une certaine mesure. A-t-on droit alors à une indemnité chômage ou invalidité? 
Quand on ne connaît rien au maniement d'un ordinateur et qu'on écrit son CV au crayon, c'est à peine si on est digne de vivre... dans une société où l'Etat a abandonné la prise en charge des citoyens en difficultés à des entreprises privées, qui ne songent qu'à dégraisser plutôt qu'à secourir.
Heureusement, il reste entre les hommes, et les femmes, certaines formes de solidarité et c'est ce qui empêche de désespérer totalement, quand on voit une mère de famille affamée se jeter littéralement sur une boîte de conserve dans une banque alimentaire.
Ce film nous vaut aussi le souvenir d'une belle histoire d'amour au son de la musique de la météo marine de la BBC.
Ce n'est pas une œuvre révolutionnaire mais elle nous parle, nous invite à la vigilance et à l'indignation.


Ken Loach a bien mérité sa 2ème Palme d'or.

vendredi 14 octobre 2016

L'EPINE DANS LE COEUR

Michel Gondry aime bien le "bricolage" cinématographique: qu'on se souvienne de La Science des rêves, de Rembobinez s'il vous plaît et surtout du merveilleux Microbe et Gasoil. Il apprécie les machines improbables, les personnages hors de notre monde, les univers à la marge.
Avec L'Epine dans le cœur, il semble se plonger dans le réel. Le réel de sa vraie famille, de sa tante et de son cousin. C'est autour de ces deux personnes que va s'organiser et se désorganiser le film. Gondry suit d'abord un schéma classique de documentaire: il retrace la carrière d'institutrice de sa tante à travers ses différents postes. L'occasion de rendre un hommage émouvant aux pédagogues inventifs, généreux, dont les anciens élèves viennent porter témoignage de leur reconnaissance.
Les perchistes, les cadreurs font semblant d'apparaître par mégarde dans le champ; les formats différents et hétéroclites se succèdent sans raison apparente; on assiste à la projection du film devant les membres de la famille du réalisateur qui y ont participé et à celle d'un classique du cinéma dans une école aujourd'hui en ruine.
Le film évoque aussi les événements historiques qui ont jalonné la trajectoire de l'enseignante, comme les conséquences de la guerre d'Algérie.
Et puis, tout à coup, on s'intéresse au cousin affublé d'un curieux look et dont on va connaître le secret qui constitue cette "épine dans le cœur" de sa mère. Le film change alors de registre: on entre dans un drame familial, une blessure toujours ouverte. Le spectateur peut être décontenancé par cette confusion, ce mélange de deux thèmes totalement différents, d'autant plus que l'activité professionnelle de cette mère déchirée ne semble avoir jamais souffert de la tragédie intime qu'elle vivait.


En définitive, on a l'impression de voir un film familial super 8 d'autrefois, comme semble le confirmer la scène finale, un film personnel face auquel on peut se sentir étranger mais envers lequel on peut aussi éprouver de l'empathie, car ce qui s'y passe et ce qui s'y dit est universel.