vendredi 31 janvier 2014

PHILOMENA

Stephen Frears est un cinéaste vraiment très intéressant: quel que soit le film, il parvient à faire écrire (ou récrire si nécessaire) un scénario de qualité, à engager des acteurs parfaits (ici Judi Dench et Steve Coogan), et à assurer une mise en scène fluide, presque invisible. Certains crient au classicisme, voire à l'académisme: moi, je dis :"Vive le cinéma!"
Peu importe que le film s'inspire de faits réels, comme c'est aujourd'hui la grande mode; l'important est la relation qui se crée entre les deux personnages principaux, deux cabossés de la vie, l'un pour des raisons bassement matérialistes et politiques, l'autre pour des raisons autrement tragiques. Ils ne forment pas un couple, mais un duo dont chacun des membres va peu à peu se rapprocher de l'autre. C'est le thème central de toutes les "comédies américaines" et il arrive que l'on sourie ou même que l'on rie dans ce film. Cependant, c'est la colère anticléricale exprimée par le personnage interprété par Coogan (co-auteur du scénario) qui constitue l'élément le plus sain de l'œuvre: il y a des choses que l'on n'a plus l'habitude d'entendre au cinéma et cela fait du bien de partager l'indignation soulevée non seulement par le comportement de la vieille sœur sadique confite dans ses préjugés assassins, mais aussi et surtout par la complicité criminelle des si gentilles (en apparence) religieuses du présent de la narration.
Pourtant, le film ne transpire pas l'aigreur et l'esprit de vengeance: le journaliste comprenant Philomena finira par lui offrir une statuette saint-sulpicienne et par admettre le romanesque naïf de celle qu'il aura appris à connaître et à apprécier, après l'avoir considérée d'un œil mercantile comme un simple sujet d'article de journal "près des vrais gens".
Il est rare de voir ainsi mêlés la colère et la compréhension, l'humour et la tragédie. Frears est vraiment un cinéaste très intéressant.


mercredi 15 janvier 2014

TEL PERE TEL FILS

Le système scolaire japonais est impitoyable. Pour être admis dans une "bonne " école primaire, un enfant est obligé de mentir, de faire croire au jury qu'il mène une vie familiale exemplaire et qu'il a passé notamment une partie de ses vacances scolaires à faire du camping avec son père attentionné; l'examen d'entrée terminé, le père, qui a assisté à l'entretien, s'étonne de découvrir qu'il aurait passé ses congés sous la tente avec son rejeton. Celui-ci lui révèle alors que c'est son "professeur du soir" chargé de l'entraîner à l'épreuve qui lui a conseillé de présenter cette image de la famille idéale pour être accepté dans cette école recherchée... Cette scène inaugurale fait froid dans le dos...
Pourtant, l'intrigue qui va être immédiatement mise en place dès la seconde scène semble inspirée de La vie est un long fleuve tranquille: il s'agit en effet d'une histoire de substitution d'enfants. Mais on est loin de la comédie avec le film de Hirokazu Kore-eda: c'est une réflexion délicate et approfondie sur la filiation. Qu'est-ce qu'être père? Le père est-il simplement le géniteur qui a donné de sa semence ou celui qui a donné de son temps à l'enfant? La réponse est loin d'être évidente et la prise de conscience du père, déçu de voir que son fils n'est pas l'ambitieux qu'il est lui-même, sera douloureuse: il en viendra à être soulagé d'apprendre que si "son fils" lui ressemble si peu, c'est qu'il n'est pas le sien; mais il aura les pires difficultés à se faire admettre par son "vrai" fils, habitué à un tout autre type d'éducation et à une famille chaleureuse.

Les deux familles
Parfois, l'opposition entre les deux familles est un peu trop appuyée: l'une froide, vivant dans un univers aseptisé avec apprentissage obligatoire du piano, l'autre vivant dans une bohème sympathique où le père partage les bains et les jeux de ses enfants; parfois aussi, la mise en scène trop explicite gagnerait à être plus fine: ainsi quand les deux chemins, l'un emprunté par l'un des pères, l'autre suivi par l'un des fils, finissent par se rejoindre; parfois enfin, un thème n'est pas suffisamment exploité: par exemple, celui de la fratrie; certes, l'un des pères a des relations conflictuelles avec son frère, mais pratiquement rien n'est dit du désir que pourrait ressentir un enfant non seulement de rejoindre le papa et la maman qui l'ont "élevé", mais aussi ses frères et sœurs avec qui il a tout partagé.
Malgré ces petites réserves, nous avons là un excellent film qui nous invite sans didactisme, sans réponse toute faite, à réfléchir à des problèmes existentiels et essentiels. Les acteurs sont formidables: les mères particulièrement et l'interprète du rôle principal qui est un chanteur très connu au Japon: Masahuru Fukuyama (quand on regarde certains de ses clips, on est surpris de la métamorphose...) 
Quelques scènes du film, qui a obtenu le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, resteront gravées dans notre mémoire: celle de la sélection scolaire mentionnée plus haut; celle aussi de la révélation sur les circonstances de la substitution des enfants à la maternité; celle, enfin, où un enfant adopté se dresse violemment pour protéger "sa mère" contre celui qu'il considère comme un agresseur: ce dernier lui indique que le problème qui l'oppose à sa mère ne le concerne pas et l'enfant rétorque : "Cela me regarde parce que c'est ma mère!"

Les deux pères

Les deux mères

Le père partageant le bain des enfants

samedi 11 janvier 2014

THE LUNCHBOX

Bombay ne se limite pas à la production d'interminables films musicaux, d'ailleurs généralement savoureux de kitsch assumé. Ritesh Batra nous envoie d'Inde une charmante comédie qui nous en apprend plus sur son pays, avec délicatesse et charme, que A touch of sin sur la Chine, avec violence et cynisme.
Le point de départ de l'intrigue est une vulgaire gamelle, qu'une épouse éternellement confinée dans sa cuisine (l'émancipation de la femme indienne n'est pas encore à l'ordre du jour) prépare avec amour,  pour son mari qu'elle espère ainsi reconquérir par le ventre plutôt que par le cœur. Mais l'indifférent, qui n'a même pas remarqué la sublime beauté de l'actrice Nimra Kaut, préfère sa maîtresse, que nous ne verrons d'ailleurs jamais.
Comme on est au cinéma, et pas dans la vie réelle où les professeurs de Harvard eux-mêmes s'étonnent que les milliers de gamelles anonymes parviennent à destination sans incident, la "lunchbox" amoureusement préparée va atterrir sur le bureau d'un veuf, aspirant à la retraite. De ce quiproquo culinaire et de cette erreur de livraison va découler une correspondance entre la jeune épouse délaissée et le vieil homme aigri.
Enfin un film où les employés de bureau travaillent avec des stylos antédiluviens, et où le courrier ne s'échange pas à coups de mails ou de SMS. Les personnages s'écrivent " à la main" sur des feuilles de papier placées dans les récipients destinés à la nourriture. C'est rafraîchissant!..
Le film évoque l'évolution de l'antipathique et misanthrope pré-retraité - qui accueille avec froideur son futur remplaçant, plein d'une bonne volonté naïve et envahissante - vers la tendresse amoureuse et l'ouverture à l'autre. Avec une infinie délicatesse, il refusera pourtant de nouer une quelconque liaison avec la jeune femme quand il s'apercevra, au cours de leur premier rendez-vous "visuel", de la différence d'âge qui les sépare. Mais là n'est pas la fin du film....
Ce n'est pas le chef d'œuvre de l'année, ou même du trimestre, mais voilà un film agréable, bien écrit, bien interprété, réalisé avec soin et qui, l'air de ne pas y toucher, traite de situations existentielles passionnantes: la solitude qui mène à l'aigreur, la naissance de l'amitié, l'amour impossible, la place de la femme dans la société indienne. C'est déjà pas mal pour une comédie...



samedi 4 janvier 2014

INSIDE LLEWYN DAVIS

Le dernier opus en date des frères Coen est un nouveau témoignage de leur talent, pour ne pas dire "génie", proprement singulier et véritablement original, loin des clichés enfilés dans des films qui ne reposent que sur des "pitches"(?) squelettiques. Comment être drôle sans être cynique? Comment amuser le public sans mépriser ses personnages? A ces questions, le film relatant l'histoire de Llewyn Davis répond magnifiquement bien. Un looser qui a du talent mais qui arrive peut-être trop tôt dans l'histoire de la musique américaine, un homme qui ne fait que de mauvaises rencontres dans des lieux improbables, un homme qui rate tout, qui n'est pas foncièrement sympathique avec sa petite amie, qui est même incapable de garder le chat qu'on lui a confié: bref, un anti-héros attachant, drôle sans le vouloir. Si l'on ajoute une musique mélancolique et gaie, une construction qui réserve des surprises et une scène finale rétrospectivement prophétique, on n'est pas loin du chef d'œuvre.

Voici Oscar Isaac chantant avec Justin Timberlake une chanson d'anthologie:


Parmi ses rencontres, celle avec John Goodman restera une séquence culte:


Deux scènes m'ont surtout paru intéressantes par l'attention minutieuse et respectueuse que les Coen attachent à des personnages grotesques dont il serait facile de se moquer: la secrétaire de l'impresario de Llewyn Davis, dont on peut dire qu'elle pâtit d'un physique ingrat, est traitée avec une empathie rare; les deux couples de professeurs d'université sont un modèle de caricature généreuse. Quand on réussit de telles silhouettes au cinéma, c'est qu'on est très fort...