mardi 30 mai 2017

LES FANTÔMES D'ISMAEL

Ça commence bien, par un film d'espionnage qui nous rappelle la séquence russe de Trois souvenirs de ma jeunesse. Et puis, évidemment, on découvre très vite qu'il s'agit d'une mise en abyme, du scénario qu’Ismaël, réalisateur de cinéma, ne parvient pas à rédiger. On revient, de temps à autre, à ce film dans le film, la partie la plus intéressante de l'oeuvre marquée par la présence de Louis Garrel, qui se révèle un fort bon acteur comique, légèrement décalé.
Le reste est, dans un premier temps, constitué du développement des scènes vues dans la bande-annonce: Manon Cotillard, disparue depuis vingt ans, réapparaît dans la vie d’Ismaël, promène un sourire assez niais à Noirmoutier, et repart. Entre temps, elle aura bavardé avec Charlotte Gainsbourg, la nouvelle compagne de son mari qu'elle tente de récupérer.
Soudain, au bout d'une heure environ, le film change de cap: on ne s'intéresse plus du tout à ces deux femmes; un nouveau personnage surgit: Hippolyte Girardot, le producteur du film que Mathieu Amalric abandonne en plein tournage. Et c'est parti pour des scènes hystérisantes avec coup de feu, discours sur la naissance de la perspective en peinture, retraite loin du monde pourri pour chercher une inspiration perdue...
Et comme on ne sait plus très bien où on en est et que les personnages, à part nous asséner des apophtegmes définitifs, ne savent plus très bien ce qu'ils font, voilà que Charlotte Gainsbourg s'adresse directement au spectateur pour lui demander: "Vous avez envie de savoir ce que ces gens sont devenus?". Et là, exaspérés, on a très envie de crier: "Non!"



dimanche 28 mai 2017

RODIN

Vincent Lindon, président de la République (chez Alain Cavalier), maçon ou vigile (chez Stéphane Brizé), maître-nageur (chez Philippe Lioret), etc: il est sans doute le meilleur acteur français contemporain, capable d'endosser l'identité comportementale du personnage qu'il interprète.
Et là, dans le Rodin de Jacques Doillon, on a du mal à admettre qu'il soit un génial sculpteur. Il a beau fixer intensément son modèle, malaxer des tissus dans le plâtre, pétrir la glaise: on n'y croit pas. Pourquoi? Parce que Rodin parle, qu'il commente sans cesse ce qu'il fait, ce qu'il pense, ce que les autres pensent de son oeuvre, et que ce dialogue, marmonné, souvent incompréhensible, est artificiel et paraît être tiré de sa correspondance ou d'une étude savante. Et ce que l'on voit sur l'écran, ce n'est donc pas le travail créateur de l'artiste, mystérieux, difficile, charnel, sensuel mais l'analyse intellectuelle de l'observateur.
A l'inverse de Rodin, Camille Claudel est parfaitement incarnée, au sens premier du terme, par Izïa Higelin qui habite son personnage, le rend vivant, et surtout irradie le plaisir et l'exaltation de la création. Lindon a beau lui pétrir les fesses comme s'il la sculptait, on ne voit là qu'un geste d'acteur dirigé par son metteur en scène.
Le comble de l'artifice est atteint lorsque Rodin rencontre Hugo, Juliette Drouet, Monet, Cézanne, Mirbeau, etc. Le dialogue, où les noms propres sont systématiquement cités pour éviter toute confusion, sombre dans le ridicule. De même, faute de moyens sans doute, l'accueil d'abord frileux de la société contemporaine, est représenté par deux ou trois scènes maladroites où on a l'impression de lire les articles des journaux de l'époque.
Au crédit du film, une photographie élégante, presque monochrome, mais dont la sobriété et la froideur finissent par assécher l'ensemble. Là encore, on sent trop la volonté de Doillon de se démarquer de l'émotion née des œuvres qui l'ont précédé, celles de Nuytten et de Dumont.
Rodin finit par devenir fade, sec, ennuyeux.