dimanche 26 mars 2017

CERTAINES FEMMES

Quatre femmes, en fait, protagonistes de trois histoires successives, vaguement entrelacées. Trois récits minimalistes et épurés qui sombrent dans l'insignifiance. Se pose alors l'éternelle question: comment décrire l'ennui sans être ennuyeux?
La réalisatrice Kelly Reichardt campe d'abord deux personnages féminins peu attachants tant leur comportement et leurs préoccupations paraissent irresponsables ou futiles: dans le segment initial, une avocate ne parvient pas à se débarrasser d'un client procédurier qui la prend en otage avec sa complicité. La mollesse du filmage cadre bien avec la léthargie de Laura mais le tout n'éveille que modérément l'intérêt du spectateur.
Gina, la deuxième femme, interprétée par Michelle Williams, tient absolument à acheter un lot de vieilles pierres qui serviront à la construction, projetée avec son mari qui la trompe avec l'avocate, de sa future demeure. La transaction avec un voisin âgé n'en finit plus et l'on partage l'indifférence de la fille adolescente qui se voit mal vivre désormais dans ce trou perdu.
La dernière histoire met en scène un couple de jeunes femmes: l'une est une fermière fort occupée qui, au départ par hasard, assiste à des cours du soir prodigués par une stagiaire qui habite à quatre heures de route de l'école. La première est fascinée par la seconde, mais l'attrait n'est pas réciproque. Une scène alors vient illuminer le film: l'élève offre à l'enseignante une promenade à cheval dans les rues désolées de la petite ville.
Le film s'attache à la simplicité de ces quatre vies mais exige du spectateur une attention soutenue au sort de ces quelques femmes si peu intéressantes.


mardi 14 mars 2017

CITOYEN D'HONNEUR

Le prix Nobel de Littérature consacre-t-il une œuvre ou signe-t-il la fin d'un élan créateur? Un écrivain qui se prétend engagé a-t-il le droit de renoncer à vivre dans le monde et la compagnie des hommes pour se réfugier dans une somptueuse villa, toute de verre, de la banlieue huppée de Barcelone? Pourquoi accepter tout à coup l'invitation de la municipalité du trou perdu d'Argentine où l'on est né et que l'on a fui quarante années durant? Curiosité perverse? Désir narcissique de montrer aux autres ce que l'on est devenu? Soif de vengeance contre un village dont tous les romans ont dénoncé les tares et les hypocrisies?
Le retour au pays natal commence de manière pittoresque par la pitoyable crevaison de la camionnette, chargée de parcourir les 600 kilomètres qui séparent la capitale du village et conduite par un peu impressionné compatriote: voilà notre illustrissime écrivain contraint de passer la première nuit de son pèlerinage au milieu de nulle part.
S'ensuivent les cérémonies grotesques du défilé dans les rues du pueblo où le prix Nobel se retrouve juché sur la voiture des pompiers, la présidence d'un jury chargé de récompenser la plus belle croûte d'un peintre amateur, les photos avec la miss locale: autant de scènes comiques où l'attitude de l'écrivain oscille entre la sympathie sincère et le regard cynique, attitude complexe merveilleusement incarnée par Oscar Martinez, sacré meilleur acteur du 73ème Festival de Venise.
Mais les questions concernant la création littéraire vont vite revenir sur le devant de la scène au cours des conférences que le "citoyen d'honneur" donne devant un public de plus en plus lassé par les prétentions de "l'intellectuel": les villageois ou leurs descendants n'ont-ils pas raison de se reconnaître dans les personnages malmenés dans les œuvres de l'auteur? Celui-ci a beau se défendre au nom de la liberté du créateur, le passé lui revient à la figure: un ancien camarade, une ancienne petite amie, leur fille font éclater l'harmonie factice initiale.
Le grand écrivain n'est-il qu'un prédateur de la réalité? Les êtres humains qu'il côtoie et feint d'aimer ou d'apprécier ne lui servent-ils qu'à créer des personnages? L'aventure argentine de Daniel Mantovani ne lui a-t-elle été qu'un prétexte pour écrire un nouveau roman après des années de silence impuissant?
Tels sont les thèmes dont traite le film de Mariano Cohn et Gaston Duprat: alors que l'on s'attendrait à un pensum boursouflé du genre Neruda, les cinéastes ont l'humilité et la subtilité d'interroger ces questions avec humour et tendresse tout en brossant le portrait d'un créateur ambigu et d'une communauté villageoise complexe.



dimanche 5 mars 2017

LOVING

Après l'angoissant et paranoïaque Take Shelter, l'épique et magnifique Mud, puis le décevant et fumeux Midnight Special, Jeff Nichols a opté pour le classicisme et la mesure d'un film de commande: Loving. Scénario au cordeau, interprétation solide, voire massive, message humaniste: tours les ingrédients sont réunis pour faire de cette histoire "inspirée de faits réels" une œuvre honorable, irréprochable. Comment rester insensible face à ce couple composé d'une Noire et d'un Blanc, qui osent s'aimer et se marier malgré la loi et la société américaine d'avant les droits civiques? Comment ne pas partager la lutte tranquille, obstinée, des époux Loving pour l'égalité et l'amour? Sans tomber dans le pathos, le réalisateur parvient à nous captiver, si ce n'est à nous émouvoir. Quelques belles scènes de fuite nous rappellent que Jeff Nichols sait filmer les traques. Il sait aussi filmer les paysages: ici, ce ne sont plus les spectaculaires rives du Mississippi, mais les modestes saisons de Virginie.
L'ensemble constitue une americana traditionnelle exaltant le territoire et la foi dans le rêve américain: l'amour et la raison triomphent.
Le plus intéressant est sans doute cette croyance inébranlable dans la victoire de la justice et de l'humanité: les avocats qui s'occupent de l'affaire Loving paraissent vaguement ridicules, voire incompétents, mais ils défendent une cause juste et noble qui, en Amérique, ne peut que vaincre.
Signalons que Michael Shannon n'a, pour une fois, ni les yeux exorbités, ni la mousse aux lèvres: il interprète un banal journaliste qui immortalise le vrai visage du couple. La meilleure séquence du film.