mardi 21 février 2017

MOONLIGHT

Sous la lune, les garçons noirs ont l'air bleu.
C'est le titre de la pièce de Tarrel Alvin Mc Craney d'où est tiré le film de Barry Jenkins: trois moments (enfance, adolescence, âge adulte) dans la vie de Chiron, interprété par trois acteurs différents. Un film sensible, émouvant, qui évite le pathos mais pas toujours les clichés ou les mouvements de caméra inutiles. Il illustre de manière parfois naïve la fausseté du célèbre dicton: "L'habit ne fait pas le moine". Ici, il le fait: le gamin qui découvre son homosexualité est malingre et en butte à la violence de ses camarades; l'homme qui la cache a revêtu le costume, la musculature (et les dents) du rappeur gangsta. Tout est donc dans l'apparence: la remarque est juste mais un peu limitée.
Plus intéressante est la réflexion sur la filiation:  l'enfant Chiron (que l'on surnomme à cet âge de sa vie Little) doté d'une mère droguée, s'est trouvé un père de substitution en la personne d'un dealer costaud mais gentil, bienveillant. A la fin, il imitera cet homme tant dans son allure physique que dans son comportement de "dur". De même, c'est ce gangsta au cœur tendre qui le conduit sur la plage où, plus tard, au clair de lune, il découvrira le plaisir physique avec Kevin.
La plus belle des trois grandes séquences du film est la dernière, lorsque Chiron et Kevin (interprété par André Holland, le médecin noir de The Knick, la série de Soderbergh) se retrouvent. Toute en finesse et complexité, elle est poignante comme le souvenir d'un unique moment heureux et le regret d'une vie peut-être gâchée.

L'ensemble est loin d'être déshonorant mais manque de profondeur: on craint aussi, qu'après les cow-boys de Brockeback Mountain, on ait droit prochainement à un couple de boxeurs ou de footballeurs...


dimanche 5 février 2017

LA LA LAND

Des critiques presque unanimement positives, des récompenses, des spectateurs nombreux et qui n'hésitent pas parfois à revoir le film : quel accueil!
Il est vrai que La La Land est une petite merveille: dès le titre, on franchit la frontière entre le rêve et la réalité, entre l'art et le réel. "La, la," comme lorsqu'on fredonne une chanson parce qu'on est heureux ou triste et qu'on a besoin d'extérioriser sa joie ou sa mélancolie; mais aussi L.A. comme Los Angeles, la ville du cinéma et des stars. Et le film va tout simplement raconter, comme quantité d'autres comédies musicales avant lui, l'histoire de deux apprentis du spectacle, rejetés par tous (l'un musicien, l'autre comédienne) qui vont franchir les obstacles pour enfin atteindre leur but professionnel et réaliser leur rêve artistique. Le fameux "american dream".
Le film de Damien Chazelle ne se contente pas de reprendre un scénario traditionnel du musical; il revisite des scènes vues, quelquefois revues, dans les grands films hollywoodiens: le grand ballet initial rappelle celui de West Side Story par sa durée et ses mouvements; le ballet final, lui, est une citation directe d' Un Américain à Paris; les personnages qui dansent dans le parc sont à l'image de Fred Astaire et de Cyd Charisse; il est question explicitement de Casablanca, de La Fureur de vivre; la fin rappelle celle de Cafe Society de Woddy Allen. Jacques Demy n'est pas oublié: les colocataires de l'héroïne, par leur vitalité, la couleur de leurs robes évoquent Les Demoiselles de Rochefort et le personnage fictif créé par Emma Stone pour son spectacle se prénomme Geneviève comme Catherine Deneuve dans Les Parapluies de Cherbourg.
Ce film est un régal pour tout amateur de cinéma adorant ce genre aujourd'hui délaissé de la comédie musicale, un peu comme le jazz que défend Ryan Gosling. Le public s'est détourné du jazz comme il s'est éloigné des films en chansons et enchantés.
La La Land, malgré ses numéros musicaux réussis et ses chansons entêtantes, laisse un goût amer: il semble nous dire qu'il est un dernier exemple d'œuvre de ce style, qu'on ne peut plus faire aujourd'hui des spectacles chantés et dansés comme on en faisait autrefois. La preuve: Gosling et Stone ne chantent pas et ne dansent pas aussi bien que Judy Garland ou Gene Kelly, et la fin de l'intrigue est bien triste pour notre couple d'amoureux. L'art n'aura pas réussi à changer la vie: le grand numéro final qui tente de refaire le film en imaginant ce qui aurait pu se passer échoue à réinventer le monde. Le réel est plus fort que l'artifice. Ce n'est pas parce qu'on se met à chanter dans un parc tellement le bonheur vous étouffe ou qu'on grimpe au milieu d'un ciel étoilé tant on est heureux, que le monde comme il va vraiment ne vous rattrape pas.
Au passage, La La Land nous aura parlé du couple et de la difficulté de chacun à respecter le jardin des rêves de l'autre.


Spécial ukulele