dimanche 23 février 2014

IDA

C'est un film court, en noir et blanc, au format carré. Voilà déjà qui nous change de la production courante et qui fait souffler un vent presque léger sur ce cinéma pourtant austère.
Même si elle n'est plus ce qu'elle était, la nostalgie est parfois un sentiment bien agréable et, ici, on revient en terrain de connaissance: on se retrouve dans les teintes à la fois mélancoliques et pleines d'espérance des films de la grande époque des cinéastes "de l'autre côté du rideau de fer". En redécouvrant son pays, la Pologne, P. Pawlikowki a voulu en revisiter le cinéma, tout en se gardant d'un simple copiage ou d'une relecture post-moderne. Le spectateur est plongé dans les années de déstalinisation, dans la renaissance du sentiment religieux (si tant est qu'il ait jamais disparu), surtout dans les souvenirs sordides de l'antisémitisme polonais. Le réalisateur nous parlerait-il d'aujourd'hui à travers le filtre d'une situation qui paraît révolue? Le passé est en effet toujours là, à fleur de peau, à fleur de terre.
Paradoxalement, ce film au rythme lent, méditatif, réserve des surprises scénaristiques qu'il serait maladroit de révéler: tel personnage féminin, la cigarette aux lèvres, le verre d'alcool à la main, la tenue négligée, quitte l'amant d'une nuit; on songe immédiatement à "une femme de mauvaise vie", il n'en sera rien. A un autre moment, alors que l'écran est vide de toute présence, et que le tourne-disques hurle dans une pièce ensoleillée, il se produit un événement étonnant mais cohérent dans l'ensemble de l'œuvre. Quant à la décision finale de l'héroïne, elle surprend aussi tout en étant dans la droite ligne de ce qui a été dit plus tôt dans le film.


Ida est un moment merveilleux d'élégance et de réflexion, où le réalisateur sait arrêter son plan juste au moment où il risquerait de tomber dans le formalisme ou le didactisme. Ça s'appelle la grâce.

samedi 1 février 2014

12 YEARS A SLAVE



"En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? - J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. - Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ? - Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : " Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. " Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible. "

C'est Voltaire qui a écrit ces quelques lignes dans Candide en 1758.
En 2014, Steve Mac Queen nous tartit pendant 2h13 pour nous "apprendre" la même chose, avec des cris, du sang, des acteurs qui roulent des yeux, des esclaves chantant si bien leur souffrance dans les champs de coton ... et un Brad Pitt grotesque en Jésus-Christ Superstar qui vient tout arranger à la fin, où tout le monde pleure et se serre bien fort dans les bras.
Le très puritain Steve Mac Queen, qui considérait déjà dans Shame que la sodomie était l'abomination de la désolation, nous fait à présent le coup du film à Oscars qui veut donner des leçons (c'est vrai que la culture générale des Américains...) et il ose comparer les malheurs (bien réels évidemment) de son peuple avec les malheurs des autres populations qui sont, à côté, de la roupie de sansonnet: " 5 ans de guerre en Europe et des centaines de films; 400 ans d'esclavage des Noirs et quelques films seulement." Franchement, je trouve ce genre de propos assez déplaisants et, à tout prendre, je préfère Django unchained.